Intervenant-e-s :
Rosa Pavanelli, Secrétaire générale de l’ISP
Guy Ryder – Directeur général de l’Organisation Internationale du Travail
Karen Gregory – Maître de conférences en sociologie numérique, Université d’Edimbourg
Serena Sorrentino – Secrétaire générale de la centrale de la fonction publique de la CGIL, Italie
Annie Enriquez-Geron – Présidente de la Confédération syndicale indépendante des services publics, Philippines
Naoki Murakami – Président du Conseil national des sapeurs-pompiers et travailleurs ambulanciers du Japon
Marcelo Di Stefano – Secrétaire aux Relations internationales de l’Association du personnel de l’Université de Buenos Aires
Introduction :
Les personnes employées dans la fonction publique ne sont pas motivées uniquement par l’argent – elles servent également leur communauté. Pour ce faire, elles doivent pouvoir jouir de droits en tant que travailleurs/euses, de conditions de travail décentes, et être impliquées dans la gestion des services qu’elles délivrent. Ce paradigme est en pleine évolution aux quatre coins de la planète.
Les développements économiques et technologiques –mais aussi politiques et idéologiques remettent en question la manière dont les services publics sont fournis. Bon nombre des services auparavant délivrés par des fonctionnaires du gouvernement sont à présent assurés par le secteur privé ou le secteur sans but lucratif. Dans certains pays, même les fonctions centrales du gouvernement – comme l’administration de la justice et de la sécurité – sont sous-traitées. Il en résulte de profonds changements en termes de conditions d’emploi, la désyndicalisation, la précarité de l’emploi et une évolution de la culture de prestation de ces services, s’écartant de la prestation de service à la communauté pour devenir une prestation axée sur le profit.
Dans le même temps, l’évolution technologique génère des possibilités permettant aux intérêts des puissants de remodeler l’économie et notre conception en la matière. Les robots, l’économie de partage, l’économie de plateformes ou l’économie des applications, la société en réseaux – tous ces paramètres modifient la relation entre le travail et le capital et mettent à l’épreuve des concepts bien établis tels qu’ « employé » et « employeur », « salaire », « congé », « exploitation », « vie privée » et –plus important encore- le concept de « droits ».
Pour comprendre et faire face à ces nouvelles formes de travail et de services publics, nous ne devons pas oublier que la technologie est possédée contrôlée et promue par des acteurs affichant des intérêts particuliers. Et que ceux qui promeuvent les modèles privés de services publics agissent selon des motivations politiques, idéologiques et économiques.
Pour protéger les services publics et les droits des travailleurs/euses, il est essentiel de comprendre les tendances actuelles.
Karen Gregory, Maître de conférences en sociologie numérique, Université d’Edimbourg
Les progrès technologiques ont-ils de potentielles conséquences sur les services publics ? Le capitalisme fondé sur les plateformes comme Uber etc. se répercute sur le monde du travail.
Les entreprises technologiques et les plateformes occupent un rôle de plus en plus important dans la conception des villes, le développement urbain, l’utilisation et l’affectation des biens publics. Via la « mise en intelligence » des villes, ces plateformes détiennent de plus en plus de données. Or, la technologie n’est jamais neutre : qui va finir par diriger les villes ? les entreprises ou les municipalités ? La question, toute effrayant qu’elle soit, mérite d’être posée. Et avec quelle main d’œuvre ? Les nouveaux profils de travailleurs entraînent nécessairement de nouvelles formes de représentation des travailleurs.
Serena Sorrentino, Secrétaire générale de la centrale de la fonction publique de la CGIL, Italie
La protection des travailleurs doit s’adapter aux nouvelles technologies. D’où la campagne de la CGIL pour une Charte universelles du travail, qui inclut les travailleurs en situation précaire, à temps partiel, en CDD, etc. qui doivent bénéficier comme tout travailleur de la protection de leurs droits fondamentaux.
Ils doivent pouvoir bénéficier de représentants et d’une protection sociale, et les syndicats doivent s’adapter aux nouvelles formes de travail.
Même dans les postes de travail traditionnels, les avancées numériques impliquent que les travailleurs doivent maîtriser de plus en plus de compétences technologiques, et le syndicat doit également en tenir compte.
Les services publics doivent se lancer dans l’innovation et nous devons nous assurer d’acquérir les compétences nécessaires dans le secteur public, qui soient adaptées à cette évolution.
Dans un contexte nouveau, il est vain de vouloir revenir aux anciennes formules, de vouloir reproduire d’anciens schémas d’action face à des situations totalement différentes (ex. Uber).
Annie Enriquez-Geron, Présidente de la Confédération syndicale indépendante des services publics, Philippines
Il a fallu 7 ans d’une énorme campagne syndicale pour que les Philippines signent la Convention n°151 de l’OIT, qui octroie aux travailleurs du secteur public le droit d’organisation et de négociation collective. Les Philippines sont le 1er pays du Pacifique à avoir signé cette Convention.
Des actions de sensibilisation et de capacitation ont été menées dans l’ensemble du pays. Cette campagne a été coordonnée par l’ISP, avec l’aide solidaire d’autres syndicats, ainsi que celle de l’OIT.
À présent, le défi est d’utiliser cette expérience pour faire encore mieux.
Naoki Murakami – Président du Conseil national des sapeurs-pompiers et travailleurs ambulanciers du Japon
Les travailleurs de ce secteur tellement fondamental pour la sécurité du pays n’ont toujours pas le droit de se syndiquer !!
Le Japon est le seul pays du monde qui ait connu l’arme nucléaire. Sur les 72 années qui se sont écoulées depuis l’explosion des bombes à Hiroshima et Nagasaki, quelque 600 000 personnes ont perdu la vie, et des familles sont toujours fortement affectées par cette tragédie.
Le Japon a essayé de montrer la voie d’un monde sans armes nucléaires, mais aujourd’hui cette mission est menacée par la volonté du 1er Ministre de changer la Constitution afin que le Japon abandonne sa neutralité face à tout conflit.
Le pays est victime chaque année de catastrophes naturelles de grande ampleur : typhons, tremblements de terre, etc.
Les pompiers laissent leurs proches derrière eux pour aller porter secours aux personnes qui souffrent sur le terrain. Pour exercer ce métier, il faut avoir une condition physique et mentale de fer, et les jeunes sont souvent victimes de harcèlement de la part de leurs supérieurs pour maintenir au top cette condition, à tel point que de nombreux travailleurs tombent en dépression, jusqu’à aller parfois jusqu’au suicide.
Par ailleurs, dans les communes, les casernes comptent en moyenne 30 à 40 travailleurs, et les moyens font défaut pour assurer le matériel, la coordination logistique et la protection de ces travailleurs. Seules des grandes villes telles que Tokyo bénéficient des moyens suffisants.
Pour défendre ces travailleurs dont les conditions de travail sont extrêmement pénibles, une organisation indépendante a été créée en 1977 pour venir en aide aux pompiers et démocratiser les relations de travail. Aujourd’hui, cette organisation compte 198 sections et quelque 13000 affiliés, sur plus ou moins 30 000 pompiers sur l’ensemble du pays. Cette organisation est affiliée de façon indépendante à l’ISP, mais officiellement les pompiers n’ont toujours pas le droit de se syndiquer.
Marcelo Di Stefano – Secrétaire aux Relations internationales de l’Association du personnel de l’Université de Buenos Aires
La 100ème Conférence de l’OIT aura pour thème de débat l’avenir du monde du travail. Le processus de changement technologique est impulsé par les entreprises, mais les travailleurs doivent prendre part à cette évolution.
On nous parle à présent de la fin du travail grâce à la technologie. La technologie n’est pas neutre et ses promoteurs l’utilisent pour faire l’économie de postes de travail et rendre service principalement à une frange privilégiée de la population.
Nous avons notre rôle à jouer dans ce cadre pour redistribuer les richesses, car la plupart des entreprises technologiques pratiquent allègrement l’évasion fiscale.
- Comment utiliser la technologie pour faire passer nos propres idées telles que la redistribution des richesses, et quelles stratégies mettre en place pour y parvenir ?
Comment établir un dialogue social efficace dans ce nouveau contexte de travail tel que l’économie de plateformes, où l’on remplace une relation de travail entre employeur et employé par une relation purement commerciale entre quelqu’un qui vend un bien ou un service et quelqu’un en mesure de l’offrir.. ainsi que l’émergence du travail « 4.0 » impliquant un tout nouveau statut pour les travailleurs.
On ne peut revenir aux formes d’emploi standard, qui disparaissent de plus en plus : nous devons inventer une nouvelle vision du monde du travail pour ne pas être défavorisé dans ces nouveaux types d’emplois.
Les gouvernements et les entreprises doivent s’impliquer dans ce dialogue social. Celui-ci est trop souvent présenté par le monde patronal comme une perte de temps ou une façon d’empêcher les bonnes décisions. Or, le tripartisme et le dialogue social équilibré ont déjà prouvé leur efficacité et donnent de bons résultats. D’ailleurs, c’est dans les pays où ce dialogue est le plus fort que la crise a été le mieux surmontée.
Guy Ryder – Directeur général de l’Organisation Internationale du Travail
L’avenir sera ce que nous en ferons. La technologie domine la discussion, or nous risquons le piège du déterminisme si nous voyons dans la technologie la certitude de la destruction du travail.
Il s’agit d’une 4ème révolution industrielle, sera-t-elle différente des autres ?
Il n’y aura pas forcément moins d’emplois dans certaines grandes entreprises ces 10 prochaines années que les 10 précédentes.
Nous devons être le moteur de cette transformation technologique, et non ses spectateurs. Au niveau du secteur public, dans de nombreux pays on devient de plus en plus âgés, tandis que dans d’autres c’est la pyramide inverse qui s’annonce. Les travailleurs du secteur public sont traités différemment du reste des travailleurs par le gouvernement, et ces travailleurs se trouvent exclus de certains droits.
Rosa Pavanelli, Secrétaire générale de l’ISP
Quel type de puissance sera à la base de la gouvernance mondiale à l’avenir ? Nous nous trouvons dans une situation où les multinationales formatent les gouvernements, qui ne font que répondre aux exigences de celles-ci.
L’avenir du monde du travail doit être celui où les principes fondamentaux de la démocratie soient respectés, et pour cela il nous faut reformuler la gouvernance mondiale.
Un exemple, la question des données privées accumulées via les sphères digitales : cette question est avant tout une question démocratique avant d’être économique.
Les programmes d’innovation technologiques doivent être garantis par le public, via des logiciels en open source.
Les travailleurs doivent avant tout obtenir et garder le droit de s’exprimer, s’affilier et négocier.
Et si l’innovation mène à une hausse de la productivité, une meilleure répartition des richesses n’en est que plus nécessaire encore, tant en termes de salaires que de temps de travail.